mardi 23 avril 2019

Unmeï


Dojo Shidokan.


Unmei.


La traduction est le destin, écrit avec deux kanji dont le premier exprime le bonheur chanceux et le deuxième la vie créée par la volonté du divin. La signification des kanji donne une explication d'un sort heureux issu d'une force, d'une intention.
Ceci est en opposition à Shukumei qui correspond plus au hasard chanceux d'une rencontre fortuite. Cette rencontre peut d'ailleurs devenir Unmei ou destin, si un engagement personnel est activé.
La prédiction divinatoire du destin est traditionnellement présente au nouvel an au Japon. Omikuji ou la petite bandelette de papier sur laquelle est écrite la prédiction est gardée sous forme de talisman si elle est sensée apporter bonheur ou accrochée près d'un temple et soumise aux vents pour être éloignée si elle est présage de malheur.
La dernière mode japonaise contemporaine de tentative de changer son destin est la modification par chirurgie esthétique des lignes de la main. Sans commentaire.
Unmei no akai ito est une autre démonstration des destinées liées. Les petits doigts, signes de liaison au cœur, sont liés par un fil rouge, signe de sang et d'amour. Les tatouages de fil rouge noué sur les auriculaires remplacent les traditionnelles alliances pour démontrer de fortes liaisons amoureuses.

Pour le destin du samouraï, la droiture vient avant tout, ensuite la vie et seulement après vient la richesse matérielle. Cette droiture est l'obéissance à sa famille, aux anciens et à son seigneur tout en respectant les codes de bonne séance. Mais parfois il est bien difficile de contenter tout le monde. Alors il faut montrer son intelligence pour arriver à accomplir sa destinée.

Exemple de destin déprogrammé : Ishikawa Jozan (1583 à 1672) était un fils et petit fils de samouraï morts au combat. Il vivait seul avec sa mère dont il avait la charge. Vassal de Tokugawa Ieyasu, il se fait remarquer très jeune pour ses qualités de guerrier implacable. Il eut pourtant l'occasion d'épargner la vie d'un ennemi moine guerrier en lui demandant avant de le tuer s'il pouvait lui dire à quoi il pensait sentant sa mort proche. Ce dernier lui répondit : je suis un flocon de neige tombant sur un foyer incandescent. Jozan lui laissa la vie sauve car il fut profondément ému de cette réponse, elle marqua à tout jamais sa perception de la vie.
Peu de temps après, il participe à la campagne d'Osaka. Avant la bataille, sa mère lui fait parvenir une missive lui demandant d'être courageux et d'honorer ses ancêtres. Jozan prit alors l'initiative d'anticiper l'ordre d'attaquer et d'affronter seul l'ennemi, il revint avec une tête adverse accrochée à son arme. Il est fort probable que cet acte de bravoure fut prémédité et les répercutions qui suivirent aussi.
Il fut banni pour désobéissance aux ordres et condamné à se faire moine. Il mène alors une humble vie itinérante tout en se formant à la culture chinoise et à la religion bouddhiste qu'il considère supérieurs à la rugueuse culture guerrière japonaise de l'époque. En officiant quelques années au temple Myoshin-ji de Kyoto il se consacre à l'étude de la peinture, poésie et calligraphie chinoise grâce à la très belle collection d’œuvres originelles de ce monastère.
Enfin libéré de son bannissement en 1636, il mène alors une vie humble de renoncement et de célibat en revenant s'occuper de sa mère à Hiroshima où elle était servante d'un seigneur tuteur familial. En 1642, elle décède, il est libre de ses charges et commence à construire de ses propres mains un temple bouddhiste de l'école Söto Zen à Kyoto.
La construction de ce pavillon nommé Shisen-dô et les aménagements extérieurs sur un terrain vallonné réduit du quartier de Sakyô-ku se prolongeront jusqu'à son décès. Il crée ainsi au fil de ses trente années de dévouement, non seulement un temple surprenant, mais aussi un superbe jardin et une collection de portraits de trente six poètes chinois minutieusement sélectionnés. L'ensemble recrée un cheminement physique et spirituel comparable à ceux des grands monastères Zen. Tous les décors sont choisis pour stimuler l'activité mentale, la réflexion, la méditation, provocant soit le confort solaire ou la sombre insécurité, l'instant paisible et long opposé au bruit sec et court, les tournants subtils et les escaliers raides, la lumière et les couleurs changeantes, tantôt éclatantes et parfois tamisées activent sans cesse les sens en éveil.
Tout est opposition pour troubler l'esprit et provoquer la frustration puis l'épanouissement. Les jeux subtils de lumière, d'ombre et de matières naturelles chaleureuses et envoûtantes donnent à certains endroits un sentiment de lévitation, déplacement planant sur un tapis magique de végétation ondulante. Jozan avait été aussi jardinier au temple Shôseï-En de Kyoto.
La scénographie était empruntée aux modèles des temples bouddhistes chinois. Cette séquence ésotérique du décor provoque naturellement une incitation à la pause et à la méditation. Les yeux et les oreilles sont soumis à la dictature de l'endroit. L’œil est actif et l'oreille passive, l'un et l'autre nous emmènent vers le paisible et l'éternel mouvement. Le mécanisme du simple bambou qui se rempli d'eau et se vide brusquement en frappant la pierre est l'image parfaite du Zen, temps long et court en perpétuel tempo, stimulant le regard et l'ouïe.
Sa sélection d'artistes peintres chinois ne plut pas à tous, car nombreux n'étaient pas connus. Certains célèbres furent même écartés malgré l'insistance de ses proches amis. Chaque portrait est agrémentée d'un poème du personnage représenté écrit en ancien caractère chinois avec un art de calligraphie aérien qui était propre à Jozan pour définir la longévité la prospérité et la bonne fortune. Louangeant les méconnus, il cultivait ainsi l'art des paradoxes, plaçant le spectateur en difficulté pour l'inciter à réfléchir.
Parfait exemple de Shukumei et de Unmei pour accomplir une destinée superbe.
Espérons que ce temple puisse encore être visité et entretenu pendant de nombreux siècles pour maintenir la fonction pour laquelle il fut créé ; provoquer la réflexion.

Voeux 2024