Dojo
Shidokan.
Unmei.
La
traduction est le destin, écrit avec deux kanji dont le
premier exprime le bonheur chanceux et le deuxième la vie créée
par la volonté du divin. La signification des kanji donne une
explication d'un sort heureux issu d'une force, d'une intention.
Ceci
est en opposition à Shukumei qui correspond plus au hasard
chanceux d'une rencontre fortuite. Cette rencontre peut d'ailleurs
devenir Unmei ou destin, si un engagement personnel est
activé.
La
prédiction divinatoire du destin est traditionnellement présente au
nouvel an au Japon. Omikuji ou la petite bandelette de papier
sur laquelle est écrite la prédiction est gardée sous forme de
talisman si elle est sensée apporter bonheur ou accrochée près
d'un temple et soumise aux vents pour être éloignée si elle est
présage de malheur.
La
dernière mode japonaise contemporaine de tentative de changer son
destin est la modification par chirurgie esthétique des lignes de la
main. Sans commentaire.
Unmei
no akai ito est une autre démonstration des destinées liées.
Les petits doigts, signes de liaison au cœur, sont liés par un fil
rouge, signe de sang et d'amour. Les tatouages de fil rouge noué sur
les auriculaires remplacent les traditionnelles alliances pour
démontrer de fortes liaisons amoureuses.
Pour
le destin du samouraï, la droiture vient avant tout, ensuite la vie
et seulement après vient la richesse matérielle. Cette droiture est
l'obéissance à sa famille, aux anciens et à son seigneur tout en
respectant les codes de bonne séance. Mais parfois il est bien
difficile de contenter tout le monde. Alors il faut montrer son
intelligence pour arriver à accomplir sa destinée.
Exemple de destin déprogrammé : Ishikawa Jozan (1583 à 1672)
était un fils et petit fils de samouraï morts au combat. Il vivait
seul avec sa mère dont il avait la charge. Vassal de Tokugawa
Ieyasu, il se fait remarquer très jeune pour ses qualités de
guerrier implacable. Il eut pourtant l'occasion d'épargner la vie
d'un ennemi moine guerrier en lui demandant avant de le tuer s'il
pouvait lui dire à quoi il pensait sentant sa mort proche. Ce
dernier lui répondit : je suis un flocon de neige tombant
sur un foyer incandescent. Jozan lui laissa la vie sauve car il
fut profondément ému de cette réponse, elle marqua à tout jamais
sa perception de la vie.
Peu
de temps après, il participe à la campagne d'Osaka. Avant la
bataille, sa mère lui fait parvenir une missive lui demandant d'être
courageux et d'honorer ses ancêtres. Jozan prit alors l'initiative
d'anticiper l'ordre d'attaquer et d'affronter seul l'ennemi, il
revint avec une tête adverse accrochée à son arme. Il est fort
probable que cet acte de bravoure fut prémédité et les
répercutions qui suivirent aussi.
Il
fut banni pour désobéissance aux ordres et condamné à se faire
moine. Il mène alors une humble vie itinérante tout en se formant à
la culture chinoise et à la religion bouddhiste qu'il considère
supérieurs à la rugueuse culture guerrière japonaise de l'époque.
En officiant quelques années au temple Myoshin-ji de Kyoto il se
consacre à l'étude de la peinture, poésie et calligraphie chinoise
grâce à la très belle collection d’œuvres originelles de ce
monastère.
Enfin
libéré de son bannissement en 1636, il mène alors une vie humble
de renoncement et de célibat en revenant s'occuper de sa mère à
Hiroshima où elle était servante d'un seigneur tuteur familial. En
1642, elle décède, il est libre de ses charges et commence à
construire de ses propres mains un temple bouddhiste de l'école Söto
Zen à Kyoto.
La
construction de ce pavillon nommé Shisen-dô et les aménagements
extérieurs sur un terrain vallonné réduit du quartier de Sakyô-ku
se prolongeront jusqu'à son décès. Il crée ainsi au fil de ses
trente années de dévouement, non seulement un temple surprenant,
mais aussi un superbe jardin et une collection de portraits de trente
six poètes chinois minutieusement sélectionnés. L'ensemble recrée
un cheminement physique et spirituel comparable à ceux des grands
monastères Zen. Tous les décors sont choisis pour stimuler
l'activité mentale, la réflexion, la méditation, provocant soit le
confort solaire ou la sombre insécurité, l'instant paisible et long
opposé au bruit sec et court, les tournants subtils et les escaliers
raides, la lumière et les couleurs changeantes, tantôt éclatantes
et parfois tamisées activent sans cesse les sens en éveil.
Tout
est opposition pour troubler l'esprit et provoquer la frustration
puis l'épanouissement. Les jeux subtils de lumière, d'ombre et de
matières naturelles chaleureuses et envoûtantes donnent à certains
endroits un sentiment de lévitation, déplacement planant sur un
tapis magique de végétation ondulante. Jozan avait été aussi
jardinier au temple Shôseï-En de Kyoto.
La
scénographie était empruntée aux modèles des temples bouddhistes
chinois. Cette séquence ésotérique du décor provoque
naturellement une incitation à la pause et à la méditation. Les
yeux et les oreilles sont soumis à la dictature de l'endroit. L’œil
est actif et l'oreille passive, l'un et l'autre nous emmènent vers
le paisible et l'éternel mouvement. Le mécanisme du simple bambou
qui se rempli d'eau et se vide brusquement en frappant la pierre est
l'image parfaite du Zen, temps long et court en perpétuel tempo,
stimulant le regard et l'ouïe.
Sa
sélection d'artistes peintres chinois ne plut pas à tous, car
nombreux n'étaient pas connus. Certains célèbres furent même
écartés malgré l'insistance de ses proches amis. Chaque portrait
est agrémentée d'un poème du personnage représenté écrit en
ancien caractère chinois avec un art de calligraphie aérien qui
était propre à Jozan pour définir la longévité la prospérité
et la bonne fortune. Louangeant les méconnus, il cultivait ainsi
l'art des paradoxes, plaçant le spectateur en difficulté pour
l'inciter à réfléchir.
Parfait
exemple de Shukumei et de Unmei pour accomplir une
destinée superbe.
Espérons
que ce temple puisse encore être visité et entretenu pendant de
nombreux siècles pour maintenir la fonction pour laquelle il fut
créé ; provoquer la réflexion.