Dojo
Shidokan.
kanikakuni.
Il
s'agit d'un mot, issu du japonais ancien, employé par un poète
japonais, Isamu Yoshii (1886-1960). Ce dernier se fit aussi connaître
comme dramaturge et comme présentateur radio. Il dépensa une grand
partie de sa fortune dans le quartier hanamachi Gion de Kyoto
(quartier de geisha). Une fête annuelle a lieu chaque année le 8
novembre à l'endroit du monument dédié à sa mémoire, à
l'emplacement de son Ochaya (maison close) favori. Ce jour-là,
maikos et geikos sont de sortie avec leurs plus beaux kimonos,
déposent des fleurs et mangent des nouilles soba en mémoire de leur
bienfaiteur en s'imbibant de la poésie gravée dans le marbre, qui
commence par kanikakuni, et dont la traduction pourrait être :
Peu importe ce que les autres pensent ou disent, Gion est mon
amour, quand j'y suis couché, l 'eau coule sous l'oreiller.
Il démontre par ces mots sa passion pour les geishas et la vraie
utilité de ces maisons closes, sans oublier le bonheur de les
visiter. Une vraie publicité épicurienne en 31 syllabes, style
haïku.
Kanikakuni
est littéralement traduit par : une chose ou l'autre et
de toute façon.
Une
vraie philosophie de vie du parfait hédoniste. Jouir des plaisirs
terrestres malgré le coût, l'appauvrissement possible et les
jugements ou critiques des autres. Pratiquer l'art et même tous les
arts avec passion, en même temps profiter des bonnes choses que les
autres et la nature nous apportent quel qu 'en soit le prix à
payer. C'est sûrement l'adage de cet artiste, mais aussi celui des
geishas.
Pourtant
il y a un fameux paradoxe dans ces dernières réflexions : d'un
côté pratiquer un art qui demande rigueur de travail,
disponibilité, entêtement, patience d'étude de techniques, respect
et dévouement envers les anciens ... et de l'autre s'adonner
librement à la jouissance de la nature des choses et des êtres.
Purifier les affects pour aller du monde de l'angoisse à celui de la
sagesse enseignait Socrate. S'astreindre à l'exigence pour se
libérer de l'ego répètent les maîtres de iaïdo. Il faut se
défaire des attachements pour être libre et il est nécessaire de
s'attacher à être parfait pour s'en libérer. C'est un peu le
serpent qui se mord la queue, d'où la nécessité Kanikakuni ou
c'est sans importance.
Le
bouddhiste prône le contrôle des désirs pour s'en libérer. La
maîtrise de soi est pourtant un chemin très difficile, mais promet
l'autonomie. Kanikakuni, pourquoi y voir de mauvais désirs ?
Les
stoïciens trouvent leur liberté dans le sacrifice, le sacerdoce,
l'ascétisme, le renoncement, le devoir avant tout. La conscience
tranquille et le respect strict de la morale ou de la religion sont
aussi pour eux une forme de liberté. L'au-delà ou la cause pour
laquelle ils s'investissent étant l'accomplissement parfait.
Kanikakuni, ce qui paraît être un manque pour celui qui juge, ne
l'est vraiment qui si quelque chose manque.
Pour
les hédonistes, ce que l'on ressent et le plaisir qu'on en retire,
ce que l'on donne à ressentir, l'émotion naturelle suscitée, voilà
le vrai but de vivre. Ces sentiments peuvent sembler être négatifs
ou positifs, Kanikakuni (peu importe). C'est l'intensité ressentie
qui compte, le reste n'est que jugement provisoire.
Il
importe de trouver sa place dans ce monde et tenter d' y réaliser
une vie réussie, quelque chose que l'on voudrait revivre, kanikakuni
ce qu'en pensent les autres. Il n'y a pas de recette unique à la
liberté. S'imposer un but honorable donne un vrai sens à la vie. Le
bonheur est la plénitude du cheminement, Kanikakuni la route
choisie.