vendredi 28 juin 2019

Kunikakuni


Dojo Shidokan.


kanikakuni.

Il s'agit d'un mot, issu du japonais ancien, employé par un poète japonais, Isamu Yoshii (1886-1960). Ce dernier se fit aussi connaître comme dramaturge et comme présentateur radio. Il dépensa une grand partie de sa fortune dans le quartier hanamachi Gion de Kyoto (quartier de geisha). Une fête annuelle a lieu chaque année le 8 novembre à l'endroit du monument dédié à sa mémoire, à l'emplacement de son Ochaya (maison close) favori. Ce jour-là, maikos et geikos sont de sortie avec leurs plus beaux kimonos, déposent des fleurs et mangent des nouilles soba en mémoire de leur bienfaiteur en s'imbibant de la poésie gravée dans le marbre, qui commence par kanikakuni, et dont la traduction pourrait être : Peu importe ce que les autres pensent ou disent, Gion est mon amour, quand j'y suis couché, l 'eau coule sous l'oreiller. Il démontre par ces mots sa passion pour les geishas et la vraie utilité de ces maisons closes, sans oublier le bonheur de les visiter. Une vraie publicité épicurienne en 31 syllabes, style haïku.
Kanikakuni est littéralement traduit par : une chose ou l'autre et de toute façon.
Une vraie philosophie de vie du parfait hédoniste. Jouir des plaisirs terrestres malgré le coût, l'appauvrissement possible et les jugements ou critiques des autres. Pratiquer l'art et même tous les arts avec passion, en même temps profiter des bonnes choses que les autres et la nature nous apportent quel qu 'en soit le prix à payer. C'est sûrement l'adage de cet artiste, mais aussi celui des geishas.
Pourtant il y a un fameux paradoxe dans ces dernières réflexions : d'un côté pratiquer un art qui demande rigueur de travail, disponibilité, entêtement, patience d'étude de techniques, respect et dévouement envers les anciens ... et de l'autre s'adonner librement à la jouissance de la nature des choses et des êtres. Purifier les affects pour aller du monde de l'angoisse à celui de la sagesse enseignait Socrate. S'astreindre à l'exigence pour se libérer de l'ego répètent les maîtres de iaïdo. Il faut se défaire des attachements pour être libre et il est nécessaire de s'attacher à être parfait pour s'en libérer. C'est un peu le serpent qui se mord la queue, d'où la nécessité Kanikakuni ou c'est sans importance.
Le bouddhiste prône le contrôle des désirs pour s'en libérer. La maîtrise de soi est pourtant un chemin très difficile, mais promet l'autonomie. Kanikakuni, pourquoi y voir de mauvais désirs ?
Les stoïciens trouvent leur liberté dans le sacrifice, le sacerdoce, l'ascétisme, le renoncement, le devoir avant tout. La conscience tranquille et le respect strict de la morale ou de la religion sont aussi pour eux une forme de liberté. L'au-delà ou la cause pour laquelle ils s'investissent étant l'accomplissement parfait. Kanikakuni, ce qui paraît être un manque pour celui qui juge, ne l'est vraiment qui si quelque chose manque.
Pour les hédonistes, ce que l'on ressent et le plaisir qu'on en retire, ce que l'on donne à ressentir, l'émotion naturelle suscitée, voilà le vrai but de vivre. Ces sentiments peuvent sembler être négatifs ou positifs, Kanikakuni (peu importe). C'est l'intensité ressentie qui compte, le reste n'est que jugement provisoire.
Il importe de trouver sa place dans ce monde et tenter d' y réaliser une vie réussie, quelque chose que l'on voudrait revivre, kanikakuni ce qu'en pensent les autres. Il n'y a pas de recette unique à la liberté. S'imposer un but honorable donne un vrai sens à la vie. Le bonheur est la plénitude du cheminement, Kanikakuni la route choisie.



Voeux 2024