vendredi 29 mars 2019

Basara


Dojo Shidokan.

                                                                 Lettre de Sasaki Doyo
Basara.

L'histoire de ce mot japonais révèle qu'il est utilisé au début du quatorzième siècle pour définir l'aspect extravagant de certaines personnes appelées aussi Akuto (vauriens). Ce sont souvent des samouraïs insoumis et contestataires du règne des Shoguns de Kamakura. Le régime shogunal après les guerres mongoles a dépensé une fortune pour sa défense et de plus a agrandi son territoire. Mais il n'arrive plus à récompenser tous ses vassaux et provoque ainsi beaucoup de mécontentements auprès de cette classe guerrière. Des petits groupes de vagabonds armés vivent cachés dans les bois de vols et rapines. Terroriser les riches monastères et les fonctionnaires récolteurs d'impôts est leur passe temps favori. Leur allure insolite, vêtements aux couleurs voyantes, armes rouillées, comportement violent et grossier, est en discordance complète avec le modèle traditionnel des samouraïs. En wallon, on pourrait traduire Basara par Baraqui.
L'accroissement des effectifs de ces bandes armées basara et l'amélioration des techniques d'embuscades provoquera petit à petit l'insécurité complète dans plusieurs provinces de l'empire du Japon. Ils s'opposent ainsi aux pouvoirs des puissants daimyos mais aussi monastères et commencent à construire des camps retranchés secrets dans les montagnes pour se protéger. Quelques années plus tard, des seigneurs samouraï basara issus du brigandage ont un tel pouvoir que les Shoguns doivent chercher à s'allier avec eux pour maintenir la stabilité de leur domination ou sont condamnés à s'engager dans des luttes difficiles pour combattre ces guerriers inaccessibles. Cette instabilité grandissante provoquera des bouleversements d'alliance et l'arrivée de la lignée des shoguns Ashikaga remplaçant les Minamoto.
Cependant les seigneurs samouraïs basara maintiendront leurs mauvaises habitudes contestataires et dépravées malgré leur montée en influence sociale. Indispensables au maintien de la stabilité et de la sécurité régionale, on les retrouvera rapidement au premier plan des vassaux des puissants Shoguns. Scandaleusement indécrottables, ils vont créer les premiers mouvements de mode vestimentaire originale et un brin provocante au sein même de la cour du Shogun. Tout ce qui pouvait être choquant sera mis en place pour montrer son détachement aux valeurs traditionnelles et religieuses, une véritable contestation des pouvoirs politiques de l'époque. Il faut dire que ces pouvoirs avaient mis une telle pression fiscale sur la population que la révolte était prévisible.
Sasaki Doyo (1306-1373) est un de ces samouraïs basara, esthète et amateur de théâtre et de poésie, de l'art de thé et des fleurs, son apparence tapageuse cachait un goût artistique prononcé. Le Taiheiki nous raconte ses aventures burlesques faites de farces fantaisistes et de diverses provocations à l'égard des personnes qu'il détestait. Son comportement colérique et grossier lui provoquera beaucoup de problèmes mais il saura toujours se tirer du mauvais pas dans lequel il s'était mis grâce à son esprit cultivé et ses goûts artistiques qui lui permettaient de maintenir des liens d'amitié avec des personnes influentes.
Ce comportement étrange frisant le mauvais goût est révélateur d'un profond mouvement libertaire  de société moderne reposant sur des formes de sociabilité nouvelles en opposition directe avec celles du japon médiéval faites de règles de soumission extrêmement codifiées. L'éveil artistique devient aussi important que l'art militaire. Le culte de la personne remplace celui du seigneur ou du dieu.

jeudi 7 mars 2019

Musha Shugyo


Dojo Shidokan.


Musha Shugyo.

Le pèlerinage du samouraï. Similaire à la quête du chevalier féodal en Europe. C'est un voyage fait de rencontres, de mises en difficulté, de dépassement de soi, de confrontation avec les meilleurs, d'apprentissage de l'inconnu et aussi de méditations, de jeunes, d'abstinences. C'est un chemin physique et spirituel pour parfaire ses connaissances et s'accomplir. Les rencontres peuvent être des duels sous règles strictes ou des combats à mort contre un ou plusieurs adversaires, mais cela peut aussi être des luttes pour la survie contre des éléments inattendus, animaux sauvages, voleurs ou brigands de toutes sortes. En revanche, parfois plus paisibles, les visites de monastères ou d'ermites étaient aussi prévues pour des retraites spirituelles mais aussi physiques. Les arts guerriers faisaient aussi partie des pratiques des moines.
C'est la diversité des contacts et des découvertes qui crée l'enrichissement du Shugyosha. Le travail en milieu fermé crée l'appauvrissement, le vase clos c'est l'entropie.
Entropie est un mot récent, créé en 1865 par un physicien allemand pour définir, à partir d'un mot de grec ancien qui signifie transformation, le degré de désorganisation d'un système thermodynamique isolé. Ce mot a depuis été étendu à plusieurs domaines: mathématiques, astrophysique, informatique, écologie, science de l'information mais aussi en termes d'entreprise, d’œuvres culturelles ou même de politique. Ce terme entropie est souvent traduit par chaos, mais c'est un peu réducteur. Il s'agit plutôt de démontrer que dans un système isolé, l'énergie a tendance à se disperser le plus possible. De plus, en thermodynamique, cette entropie ne peut qu'augmenter, d'où une dégradation inévitable de l'énergie.
L'image d'entropie sert donc a expliquer la nécessiter de sortir de son domaine de confort et d'aller à la rencontre de difficultés pour s'améliorer. Rester au chaud dans son petit dojo de prédilection ne permet pas de devenir meilleur, bien au contraire. C'est le chemin idéal du développement de l’ego, de la suffisance, d'énergie dissipée.
Un autre principe de thermodynamique des fluides démontre que plus on échange de l'énergie, plus on crée de l'énergie. Voilà bien le concept du Musha Shugyo, l'échange d'énergie mais aussi de connaissances dans des rencontres variées pour enrichir son acquisition personnelle.
En continuant l'étude de la thermodynamique, l'échange se fait toujours du corps chaud vers le corps froid. Le corps froid absorbant l'énergie du chaud qui diffuse énormément. On peut ainsi mieux comprendre l'image du guerrier ascète qui, froidement et calmement, compense et amorti les attaques fougueuses de son bouillant adversaire tout en y répondant avec la détermination nécessaire.
Toutes ces images sont décrites pour faire comprendre l'utilité de participation aux stages, de visite à d'autres dojos, de participation à des compétitions, de se faire regarder et corriger par de multiples senseïs. Plus on augmente les rencontres, plus on ajoute de valeurs, de connaissances et plus on gagne en acquisition. Ce n'est pas dans la facilité et l'isolement que l'on progresse physiquement et mentalement. L'état d'esprit de ces rencontres devrait rester, même dans le cadre de compétitions, un esprit d'échange fraternel, où chacun respecte les valeurs de l'autre sans concessions mais aussi sans jugement. Ce que l'autre veut bien vous communiquer est un trésor, celui qui peut le saisir est toujours gagnant, même si au premier abord le jugement est peut-être négatif.

Voeux 2024